Chroniques de Pourpre - The Make Art Band Live in Rouen
L’avenir du rock
-
Wheeldon du ciel
Pour rester dans l’air du temps, l’avenir du rock erre. L’erre dans le désert. Ça lui plaît car ça sonne bien. L’erre dans l’air. Si ça ne tenait qu’à lui, il s’en gargariserait. Mais ce n’est pas l’heure car voici qu’apparaît au sommet d’une dune un volatile. La chose approche rapidement. L’avenir du rock s’attend au cui cui rituel, mais à sa grande surprise, le volatile lui adresse la parole : — Chuis le dindon de Meudon ! Z’auriez pas vu Burdon ? — Pardon ? — Je cherche aussi Ron Ashedon ! — Pour quoi faire ? — Ben pour monter un groupe qui va s’appeler Armaguidon ! — Ah c’est pas du bidon ! Épuisé par cet échange trop insolite, l’avenir du rock brise net et reprend son petit bonhomme de chemin. Alors que le soleil se couche à l’horizon, il voit apparaître la silhouette d’une créature encore plus singulière, qu’on dirait sortie d’une toile de Jérôme Bosch : un grand poisson surmonté d’une épée et monté à la verticale sur deux guiboles fluettes. La chose approche et lance d’une voix claironnante : — Chuis Don l’Espadon ! — Ah oui, je vous reconnais ! Vous ai vu sur un bas-relief crétois en compagnie de Poséidon. — Z’auriez pas vu John Lydon ? — Pour quoi faire ? — Ben pour monter un groupe qui va s’appeler les Cupides Cupidons ! C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de l’avenir du rock : — Vous commencez tous à me courir sur l’haricot avec tous vos Burdon, tous vos Ashedon et tous vos Lydon ! Fuck ! Et Wheeldon ? Vous pensez jamais à Wheeldon ?
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
Nick Wheeldon à Rouen ! Pas au Zénith, mais chez un particulier. Tu ne peux pas rêver plus underground que le salon d’un pavillon en banlieue de Rouen. C’est même un coin qui frise le working class. Le salon est petit, donc small attendance, comme on dit de l’autre côté de la Manche, mais du trié sur le volet, en gros l’attendance des concerts psyché de Braincrushing au Trois Pièces. L’undergound rouennais reprend du poil de la bête, et c’est la meilleure des bonnes nouvelles.
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
On reste dans les bonnes nouvelles avec l’entrée de Nick Wheeldon dans le salon. Sous son bonnet et derrière sa moustache, il fait assez working class, histoire de rester en cohérence avec l’environnement. Tu le sens : dès son arrivée les vibes sont là. Et pouf, il attaque un set assez dense en grattant des coups d’acou, accompagné par un saxman barbu (qui flirte parfois avec Trane), un violoniste (qui aurait pu jouer dans les Pogues), un bassman black incroyablement groovy, un surdoué du beurre, et sur certains cuts, deux petites choristes viennent participer au festin.
sam moore,nick wheeldon,olivier rocabois,quinn deveaux,two runner,barshasketh,à terre
Car oui, il s’agit bien d’un festin de chansons, puissamment ancrées dans un son très folky-folkah, violonné et saxé de frais, et joliment flanqué d’échos dylanesques. À un moment, dans un cut qui s’appelle «Garden Of Doubt» tu crois entendre des accents de «Girl From The North Country», alors tu te pinces, mais non, c’est Nick Wheeldon. Don du ciel. Il a ce pouvoir et ce talent. Ils ne sont que trois aujourd’hui à savoir honorer le génie de Bob Dylan en l’ayant intégré : William Loveday Intention, c’est-à-dire Wild Billy Childish, Daniel Romano et Nick Wheeldon. Ça va loin cette histoire, car pour un peu, tu te croirais dans la small attendance du Gaslight en 1962. Bon d’accord, la route de Darnétal n’est pas MacDougal Street, mais les chansons sont là et tu crois dur comme fer assister à l’avènement d’une ère nouvelle.
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
Ce capiteux mélange de talent et de dépouillement renvoie aussi au personnage qu’interprète Oscar Isaac dans l’excellentissime Inside Llewyn Davis, et bien sûr sur Gene Clark, qui, après avoir sauté du nid, s’est tapé une sacrée traversée du désert. Tu sens chez Nick Wheeldon le commitment dylanesque, c’est-à-dire l’essence du real deal, certaines de ses chansons t’embarquent pour Cythère, surtout quand il les screame pour les arracher du sol. Sur le coup, t’es complètement flabbergasted. Nick Wheeldon a du souffle et dispose de tout le prestige de ses influences.
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
Tu retrouves «Garden Of Doubt» sur Make Art, un double album de Nick Wheeldon & Friends II qui vient tout juste de paraître. Seize titres en tout et six bombes, mais pas les bombes atomiques habituelles, c’est une nouvelle race de bombes, et il va falloir s’y habituer : des bombes désacralisées d’une extrême pureté, comme par exemple «No God No Master», Nick s’y nique la voix et s’adresse à ta cervelle en direct. En B, on retrouve une énormité nommée «Glue», l’un des pic viscéraux du set, un Glue fantastiquement plombé au What Am I to seek, chargé de sax et de tout le désespoir du monde, il tape ça à la glotte écorchée vive et t’as même une plongée du sax dans le délire de Trane. Il chante ensuite son «Comedy» avec une rare violence interprétative, une sorte de sauvagerie transie jusque-là inconnue. Il faut remonter jusqu’à Tim Buckley pour trouver un point de comparaison. T’arrives en C et t’es pas au bout de tes surprises : tu retrouves l’un des enchaînements magiques du set, «Start Again» (très Geno dans l’esprit, complainte résolue et délibérée digne de No Other) suivi de «Shot Of Turpentine» que Nick claque avec des accents de John Lennon. C’est fin de bout en bout. Le «Garden Of Doubt» se planque en D et le fantôme de Trane revient hanter «Hand Me Down Child» avec une rare violence tourbillonnaire. L’incroyable de toute cette histoire est qu’en live, tous ces cuts sont intacts. Ils ne perdent rien de leur power. T’écoutes Make Art et tu revis tous les moments forts du set.
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
L’album précédent s’appelle Waiting For The Piano To Fall. Pas la même équipe. Il s’agit cette fois des Living Paintings. L’album est moins dense que Make Art, mais il va sur l’île déserte pour au moins trois raisons dont la première porte le doux nom d’«Isaak». Nick y sonne comme Peter Perrett - I promise there’ll be silence/ I promise there’ll be love - Encore une fois, il te flaggerbaste. La deuxième raison s’appelle «Oh Surprise». Par réflexe, t’es tenté de dire qu’il sonne comme... Il sonne comme... Fuck it ! Il sonne comme Nick Wheeldon, avec cette grandeur naturelle qui l’élève au même niveau que John Lennon ou David Bowie, il t’offre ce rare mélange de grande voix et de qualité compositale. Et puis au bout la B, t’as cette merveille qui s’appelle «No Spider In My Room». Le spirit de John Lennon semble encore planer sur cette lancinante rengaine à peine violonnée et donc visitée par la grâce. On en pincera aussi pour «Black Madonna», un fantastique mélopif tourbillonnaire, et pour l’infinie délicatesse de «Weeping Willow». Ses balladifs s’égarent parfois dans un entre-deux, mais c’est ce qui fait leur charme. Tellement intense et effervescent, «They’re Not Selling Flowers Around Anymore» évoque encore le génie fugueur de Tim Buckley.
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
Communication Problems date de 2021. Il attaque avec un gospel-folk («Talkin’ Bout Jesus») et enchaîne avec un petit folk-rock sans prétention («Telephone #2»). En cherchant bien, on y trouve de vagues échos de Stonesy. Avec «Every Street That We Know», il va plus sur les Byrds. Ce mec croule sous les facilités. Puis avec «Neal», il passe à la Beatlemania - I guess we’ll be working out in the end - C’est brillant, il se plonge avec délectation dans la cour des grands. Il boucle son balda avec un «Ticket Fort Your Love» gratté sur le riff de «Satisfaction». C’est assez curieux et inspiré, et même chanté à deux voix. Il attaque sa B avec un «Love In Vain» qui n’est pas celui qu’on croit. Il flirte cette fois avec John Lennon. Pareil avec «I Forgive You» : très Lennon dans l’esprit. Avec chacun de ses albums, Nick Wheeldon convie les gens à un festin de chansons.
Un troisième album traîne au merch. On demande à la petite choriste :
— C’est quoi ?
— Oh, Nick joue de la basse là-dessus.
, sam moore, nick wheeldon, olivier rocabois, quinn deveaux, two runner, barshasketh, à terre,
Le groupe d’appelle Belmont Witch et l’album Mundo Rumbo. Tu tentes le coup. Life is short ! Belmont Witch est le groupe de Michele Santoyo. Elle chante d’une voix éthérée et Nick est ultra-présent dans le mix. Ça accroche bien dès le «Dientes De Leon» en ouverture de balda, et encore plus avec le «Pas De Réponse» qui suit. C’est joliment troussé, avec le Nick en embuscade. De cut en cut, on retrouve ce petit beat pressé qui ne traîne pas en chemin, bien soutenu au bassmatic alerte. Tout est monté sur le même mélange d’éther vocal et d’up-tempo aux pieds agiles. Quelle belle touffeur ! «Se Vale Soltar» sonne comme un hit, avec des échos de Television et des Cocteau Twins. «Atrapame» respire bien, beau souffle mélodique, Nick contribue merveilleusement bien à l’envol. L’album bat pas mal de records d’élégance. C’est le bassmatic que tu écoutes sur «Venfo Detras» en B. Le drive de basse a une présence énorme, le cut flirte avec la psychedelia, mais rien de Mad, juste une belle tension mirobolante. C’est à la fois beau et tendu. Michele Santoyo est assez complète, toutes ses compos tiennent la route et c’est elle qui gratte les poux. Très bel ambiancier encore que cet «El Dolor». On ne se lasse pas des dynamiques, le bassmatic finit même par glouglouter. Oh et puis voilà «Chaos», éclairé de l’intérieur par le cœur battant du bassmatic, c’est d’une grande pureté intrinsèque et ça se termine en bouquets de délires pouilleux d’une rare extravagance. Belmont Witch ? Les yeux fermés.
Signé : Cazengler, Nick Wheeldinde
Nick Wheeldon. Chez André. Rouen (76). 26 janvier 2025
Nick Wheeldon. Communication Problems. Le Pop Club Records 2021
Nick Wheeldon & The Living Paintings. Waiting For The Piano To Fall. Le Pop Club Records 2024
Nick Wheeldon & Friends II. Make Art. Le Pop Club Records 2024
Belmont Witch. Mundo Rumbo. Polaks Records 2024